Survey-Magazine : Pourquoi parle-t-on de datanomics ou nouvelle économie de la data ?
Louis-David Benyayer : La face la plus visible de l’économie de la donnée est constituée de l’écosystème de services et de solutions (logiciel, matériel…) qui permettent de stocker, analyser ou transporter des données. Mais ce marché, pourtant important en volume, ne représente pas l’essentiel de l’économie de la donnée. Dans Datanomics, nous décrivons trois formes de valeur de la donnée :
- la matière première, qui peut être vendue et achetée
:C’est la forme la plus visible, pratiquée par
exemple par les data broker (Acxion, Epsilon…) qui
s’approvisionnement en données massives (plusieurs centaines de
millions d’individus) et qui les vendent à d’autres
entreprises. C’est aussi le cas de certains opérateurs télécom qui
vendent des données de géolocalisation à des sociétés
d’autoroutes. Ce phénomène n’est pas nouveau mais est en
train de s’amplifier considérablement car les sources de données,
notamment via les objets connectés sont de plus en plus nombreuses
- le levier qu’elle représente, les données permettent
d’améliorer la performance d’entreprise. Cette
forme de valeur est plus importante que la précédente.
L’utilisation de données massives permet par exemple à certains
distributeurs de réaliser des stratégies de tarification plus
individualisées par une meilleure connaissance des parcours clients.
Amazon est devenu particulièrement expert dans ce domaine. Egalement, de
nombreuses entreprises utilisent les données massives pour réduire leurs
coûts. C’est le cas par exemple des gestionnaires
d’infrastructure et des industriels qui réduisent leurs coûts de
maintenance en utilisant des algorithmes prédictifs pour comprendre et
anticiper les causes de pannes ou de défaut.
- la valeur d’actif stratégique. Dans
certains cas, les données constituent l’élément central du modèle
d’affaires, c’est le cas des moteurs de recherche et des
réseaux sociaux, les données leur permettent de commercialiser des
publicités ciblées. Plus largement, dans des marchés dits «
traditionnels » comme le transport, la mobilité ou l’hôtellerie,
certains utilisent les données pour prendre une place sur un marché et
construire un avantage concurrentiel. La mobilité illustre parfaitement
ce phénomène. Les véhicules sont de plus en plus connectés et le système
de navigation est devenu un élément central. Pour lutter contre
l’emprise de Google dans les solutions de cartographies, Daimler,
BMW et Volkswagen ont acheté un opérateur de cartographie, Here. Cette
plateforme qui rassemble les données de navigation des voitures
partenaires (circulation, densité du trafic…) devient ainsi un actif
pour ces constructeurs automobiles qui leur permet d’améliorer la
proposition de valeur de leur produit pour leurs clients et de
s’émanciper d’un acteur conquérant. Récemment, une startup
numérique qui propose des calculs de trajets en transports en commun,
Citymapper, a annoncé devenir opérateur de transport à Londres avec ses
propres bus. Cela illustre cette nouvelle dynamique concurrentielle
alimentée par les données : des acteurs nouveaux viennent prendre une
place sur des marchés non numériques grâce à leur maîtrise des données,
ils remettent ainsi en cause les positions acquises par les acteurs
historiques.
Qu’est-ce qui donne de la valeur à une donnée ?
Nous sommes habitués à ce que les choses rares acquièrent plus de valeur, car elles sont plus difficiles à obtenir. Dans le cas de la donnée, ce n’est pas véritablement sa rareté qui fait sa valeur, mais au contraire son abondance. En revanche, même si les données sont abondantes, les robinets pour y accéder, eux, sont rares. Et donc, il y a bien une nouvelle rareté qui se produit, qui est celle du point d’accès. Beaucoup d’acteurs construisent une valeur importante de rareté parce qu’ils agissent sur un robinet qu’ils sont les seuls à pouvoir actionner (ex : Google). Egalement, la valeur de la donnée est dans son utilisation et sa circulation. Les données valent quelque chose lorsqu’on peut les exploiter : aide à la prise de décision, réduction des coûts, meilleure négociation avec des fournisseurs…. Enfin, la valeur est co-construite. C’est en associant ou croisant les données entre elles que leur valeur se révèle et s’amplifie.
Quelles sont vos recommandations pour exploiter au mieux des données en entreprise ? Avez-vous un cas concret à nous citer ?
Pour les entreprises qui ne sont pas nativement numériques, c’est un changement d’état d’esprit qu’il faut opérer. Valoriser les données nécessite de synchroniser des compétences très différentes (statistique et informatique, marketing, sociologique, stratégique). Or ces compétences ne sont pas toujours présentes. Même lorsqu’elles existent, elles sont souvent organisées en silo et parvenir à les faire travailler ensemble est souvent difficile. Egalement, l’enjeu est de bien faire le lien entre les données, ce qu’elles permettent de faire et les enjeux stratégiques ou opérationnels de l’entreprise, qui eux n’ont rien à voir avec les données. Partir des enjeux et identifier comment les données peuvent aider à trouver une réponse. Enfin, le chemin de révélation de la valeur des données est un chemin d’expérimentation. C’est par la confrontation au réel sur des périmètres restreints qu’on parvient à avoir des réponses fiables à trois questions : est on est capable de le faire ? est-ce désirable ? est-ce viable ? Il n’y a pas d’autres façon que d’expérimenter pour y répondre.
A titre d’exemple, on peut citer la Sncf qui mène depuis longtemps des expérimentations associées aux données à petite échelle, pour avoir réponse à ces trois questions (pour améliorer la gestion des flux de voyageurs ou améliorer la maintenance prédictive de son matériel). Orange a également lancé de nombreuses initiatives de valorisation de leurs données ou d’utilisation de données externes comme les données météo pour réduire les taux de pannes des box suite aux orages. Et cela n’est qu’un début.