Assurer le retour sur investissement des programmes de fidélité

Afin de proposer de nouvelles pratiques autour de la gestion de la fidélisation des clients, nous questionnons l’idée dominante dans l’animation des programmes de fidélité selon laquelle les ressources de l’entreprise doivent être davantage consacrées aux meilleurs clients. En pratique, les marketeurs redoublent d’attention pour assurer une expérience dépassant les attentes des clients fidèles et s’occupent peu des clients moins fidèles. Les résultats de notre enquête tendent à nuancer l’efficacité de cette approche.

Dans une étude menée auprès de 332 clients, nous testons différentes qualités de service et niveaux de qualité relationnelle (ou degré de fidélité) entre un client et un fournisseur et étudions leurs effets sur la satisfaction. Nous montrons que, selon la qualité relationnelle qui s’établit entre un client et un fournisseur de service, les attentes envers la prochaine expérience ne sont pas les mêmes. Ainsi, les clients fidèles, déjà très satisfaits, s’attendent à ce que chaque interaction avec l’entreprise soit d’un niveau élevé de qualité. Pour ces clients, une expérience de qualité un peu inférieure à leurs attentes fait fortement chuter leur satisfaction. A contrario, les clients non fidèles ont des attentes limitées concernant les futures interactions avec le fournisseur. Une expérience de qualité supérieure à ces attentes améliore largement leur satisfaction.

Les clients fidèles – qui ont déjà un niveau de satisfaction élevé – sont en attente d’une excellente qualité de service de façon constante; alors que les clients non fidèles – qui n’ont pas encore un niveau de satisfaction très élevé – sont agréablement surpris d’être traités avec attention.

Avant de détailler notre méthodologie et nos résultats, nous approfondissons tout d’abord les concepts manipulés, autour de la fidélité, l’expérience client et la satisfaction.

Les concepts clefs

La fidélité des clients

La fidélité des clients est liée à la qualité relationnelle entre un client et une entreprise qui peut être définie comme une connexion psychologique qui peut s’observer en termes de confiance, de volonté de maintenir la relation et de perception que la relation est personnalisée. La qualité relationnelle peut renforcer les perceptions négatives en cas de défaut de service, car elle va être comparée aux bonnes expériences antérieures et paraître surprenante pour le client.

L’expérience clients

Les recherches sur l’expérience et son influence sur la satisfaction se sont principalement centrées sur les effets des incidents critiques. Un incident critique est défini comme une expérience négative qui sort de l’ordinaire et qui est particulièrement désagréable (Roos, 2002). Quelques recherches ont étudié les effets d’expériences très positives, liées à des émotions fortes et provoquant une sensation de plaisir intense. Cependant, aucune étude n’a été menée sur l’effet des petites expériences du quotidien, qui ne sont ni de l’ordre de l’incident dramatique ni de l’ordre de l’enchantement extraordinaire. Pourtant, tous les jours les clients sont confrontés soit à de petits désagréments soit à de petits gestes positifs de la part des fournisseurs. Les épisodes routiniers, positifs et négatifs, qui sont analysés dans notre présente recherche, sont importants, car ils forgent la relation client-fournisseur.

La satisfaction

Certains travaux soulignent la nature dynamique de la satisfaction. Un niveau donné de satisfaction n’est jamais assuré de se maintenir si une expérience vient bouleverser les perceptions antérieures. Ainsi, l’expérience à un instant t peut modifier le niveau de satisfaction mesuré à l’instant t-1. À chaque nouvelle interaction, le niveau de satisfaction peut donc être modifié selon que le client juge la performance de façon plutôt positive ou négative et selon la différence avec ce qui était attendu comme prestation.

Passons maintenant à la méthodologie utilisée et à l’analyse des résultats de l’enquête pour mieux comprendre le lien entre fidélité, expérience client et satisfaction.

Méthodologie

Nous cherchons à mieux comprendre l’effet de la qualité relationnelle et les réactions envers un niveau de service donné. Au travers d’un questionnaire, nous mesurons le niveau de satisfaction générale envers un restaurant avant et après une expérience de service proposé à des clients plus ou moins fidèles. Nous envisageons et comparons différentes situations possibles :
1) l’expérience est soit a) très bonne, b) très mauvaise, c) modérément bonne ou d) modérément mauvaise ; 2) la qualité relationnelle est soit d’être un client fidèle ou client non fidèle. Une série de questions concerne la satisfaction et la confiance envers le restaurant. Une question de vérification était posée à la fin pour évaluer la perception de l’expérience vécue. Enfin, les questions de profils concluaient le questionnaire. Un institut professionnel a envoyé nos questionnaires à des clients de leur base de données, en s’assurant de la représentativité de l’échantillon.

Résultats

Les analyses statistiques des réponses nous permettent de vérifier que chaque nouvelle expérience avec un fournisseur peut faire varier significativement le niveau de satisfaction d’un client, mais l’effet dépend de l’expérience et de la fidélité des clients.

Tout d’abord, en ce qui concerne les expériences positives : les clients fidèles sont peu sensibles aux efforts de l’entreprise – même une expérience excellente a peu d’effet sur la satisfaction. A contrario, nos résultats démontrent que l’histoire est bien différente pour les clients non fidèles. Pour ces derniers, l’effet d’une expérience, même modérément bonne, est très bénéfique pour leur satisfaction. Ils sont positivement surpris que l’entreprise leur propose des attentions et une expérience agréable.

Par ailleurs, en ce qui concerne les expériences négatives : les clients fidèles réagissent fortement à toute expérience négative, qu’elles soient mauvaises ou très mauvaises. Tout désagrément, même mineur, fait chuter fortement la satisfaction des clients fidèles. L’écart entre la performance de service et les attentes, très élevées, des clients fidèles, conduit à une vive déception dès que la qualité baisse, même faiblement. A contrario, pour les clients non fidèles, un service de mauvaise qualité les affecte moins. Comme ils ne s’attendent pas à être particulièrement choyés, ils sont finalement peu déçus si l’expérience n’est pas positive et cela a peu d’influence sur la satisfaction globale envers le fournisseur.

Ainsi, en interrogeant des clients ayant des exigences différentes, nos recherches permettent de mieux comprendre comment la différence entre les attentes et le niveau de prestation fournie peut influencer (positivement ou négativement) la satisfaction générale des clients envers le fournisseur de service.

Notre étude apporte tout d’abord un éclairage intéressant sur le traitement des clients fidèles. En effet, nous montrons qu’une politique trop généreuse envers les clients fidèles n’améliore pas systématiquement leur satisfaction. Ces derniers ont des niveaux d’exigence élevés et il n’est pas efficace de leur procurer des expériences excellentes qui ne contribueraient que faiblement à améliorer leur satisfaction. La priorité doit être de maintenir leur satisfaction à un niveau constant via de bonnes expériences, qui, sans être extraordinaires, vont permettre d’éviter tout risque de baisse de la satisfaction. Par ailleurs, nous proposons de ne pas négliger les clients non fidèles. En effet, ces clients ont un fort potentiel d’augmentation de leur satisfaction. Procurer des expériences agréables avec des attentions spécifiques envers les clients peu fidèles peut générer une forte hausse de leur satisfaction qui va ensuite les inciter à augmenter leurs achats futurs.

Nos analyses permettent non seulement de mieux appréhender la dynamique de la satisfaction, mais aussi de mettre en regard l’investissement du fournisseur pour assurer un certain niveau de service et les résultats sur la satisfaction du client final. La meilleure gestion des ressources consiste à répartir différemment les bénéfices clients : 1) procurer des expériences constantes aux clients fidèles, sans chercher à les surprendre par des expériences extraordinaires qui seraient coûteuses avec un faible retour sur investissement ; 2) garder des bénéfices pour les clients non fidèles avec des petits bénéfices qui vont avoir un fort retour sur investissement. Ces règles font écho aux conclusions de Tesco dans leur Rapport Annuel de 2016 « One of the most important changes we have made over the past year is to set out a new purpose serving shoppers a little better every day. ». En français : « L’un des changements les plus importants que nous avons apportés au cours de l’année écoulée est de définir un nouvel objectif de servir nos clients chaque jour un peu mieux. ».

La figure ci-dessus résume nos principaux résultats. L’axe X représente les quatre niveaux d’expérience de service (chaque répondant n’a été exposé qu’à l’une des quatre possibilités). L’axe Y représente le pourcentage de satisfaction envers le fournisseur (par exemple, 30 % signifient que le client indique qu’il est satisfait à 30 %).

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