Digital, BI, prédictif… Du bon usage de la Data dans le Marketing & les études
L’abondance de données transforme en profondeur la conduite des
affaires et les modes de prise de décision en entreprise. Nous
sommes en train de passer d’une démarche basée sur la réflexion,
l’intuition et l’expérience à des processus automatisés, qui
s’appuient principalement sur la Data. Ce changement de paradigme et
le tourbillon digital qui l’accompagne nous plongent dans une
fébrilité techno-centrée qui fait oublier la réflexion et annihile
toute velléité de distanciation.
C’est justement ce temps de la réflexion que nous avons décidé de
retrouver dans ce dossier de Survey-Magazine, à travers des analyses
qui portent notamment sur les attentes à placer dans la Data, les
limites à se fixer pour éviter la déshumanisation sous-jacente, les
gardes-fous indispensables en matière de gestion des données
personnelles… Mais avant tout, commençons par définir plus
précisément le sujet de la Data.
Les sources de la complexité
Parler de la Data, des algorithmes ou de la transformation numérique n’est pas une mince affaire : on a tendance soit à se lancer dans des généralités intéressantes mais peu fécondes, soit à aborder des aspects techniques précis, souvent complexes et toujours réducteurs. Cette difficulté a plusieurs raisons :
- Personne ne sait vraiment bien délimiter le sujet
: On sait évoquer, pour présenter le phénomène, les masses
énormes de données qui sont produites et circulent aujourd’hui sur la
toile et dans les systèmes d’information des entreprises. On sait
convoquer une nouvelle révolution industrielle induite par le digital,
l’intelligence artificielle, la réalité augmentée et autres objets
connectés… Mais on a beaucoup plus de mal à séparer ce qui est du
domaine macro et ce qui pourrait être actionné au niveau de chaque
entreprise. Les contours sont également flous en ce qui concerne la
volumétrie puisqu’on accole le qualificatif Big à Data, à la fois pour
matérialiser la prolifération de données de sources variées et pour
évoquer des ensembles de données volumineux.
- Il est difficile d’apporter des réponses claires et
reproductibles : Les exemples de réalisations que l’on
évoque généralement pour illustrer les apports des nouvelles données ne
suffisent pas toujours à éclairer sur la démarche à suivre. Les
multiples applications chez les GAFA ou les NATU (Netflix, Airbnb,
Tesla, Uber) sont impressionnantes mais ne concernent qu’une minorité
d’entreprises. Celles que l’on présente au niveau de structures plus
traditionnelles sont souvent liées au métier et au contexte particulier
de l’entreprise concernée et ne permettent pas une véritable
extrapolation.
- Il y a beaucoup de marketing là-dedans : Le Data
washing (ou digital washing) est à la mode. Beaucoup des concepts
évoqués dans ce domaine correspondent à une déclinaison d’activités et
de techniques connues : bases de données, outils CRM, datamining,
scoring, analyse multidimensionnelle… D’ailleurs, les méthodes
d’analyse statistique utilisées pour traiter les mégadonnées sont, pour
la plupart, connues et appliquées de longue date. Le nouvel habillage se
décline en anglicismes et buzzwords éphémères et en constant
renouvellement.
- Il y a beaucoup de fantasmes dans ce domaine : A
force d’entendre parler de miracles, on devient croyant. Le battage
autour de la Big data génère souvent des attentes irréalistes.
Généralement, plus on est éloigné de la technologie, plus on en attend
des merveilles. On imagine ainsi que les réseaux sociaux regorgent
d’insights de qualité, que toutes les réponses aux questions marketing
sont cachées quelque part dans le web, qu’il suffit de suivre la
fréquentation des sites web pour saisir les désirs et motivations des
consommateurs, que chaque masse de données cache nécessairement du
sens… On néglige en la matière le facteur humain, qui reste plus
déterminant que jamais.
- Il n’y a pas beaucoup de professionnels formés de manière
complète : La Data n’a pas encore ses spécialistes, même si
les formations dans ce domaine se multiplient à grande vitesse. De
nombreux Masters ont vu le jour à l’université et dans les grandes
écoles de commerce et d’ingénieurs, autour des thématiques du Big data
et de la Data Science. Certaines formations prometteuses proposent des
doubles cursus ingénieur/management, qui allient un haut niveau en
mathématique avec l’orientation business et stratégie, ce qui nous
semble indispensable pour réussir à appréhender et à traiter de manière
pertinente les masses de données à visée décisionnelle. Pour l’instant,
les diplômés sont peu nombreux et manqueront encore de l’expérience et
du recul que leur apporteront le temps, les essais-erreurs et la
maturité.
- Les contraintes juridiques sont encore floues
:C’est le moins que l’on puisse dire. Dans ce domaine où
l’essentiel des données est généré par les individus, beaucoup d’usages
courants de la data peuvent contrevenir aux législations nationales ou
européennes. Le nouveau règlement européen sur la protection des données
(RGPD) vise à bien définir les limites mais introduit de nouvelles
complexités. Il entrera en application le 25 mai 2018, avec son lot
d’obligations et de précautions, conçues certes pour la bonne cause,
mais qui risquent de peser sérieusement sur les stratégies Big data des
entreprises. Certaines études estiment que deux tiers des entreprises ne
seront pas en conformité lors de l’entrée en vigueur de la loi.
- La dimension humaine est souvent négligée :Les
prouesses de la technologie peuvent faire oublier les hommes et les
femmes qui sont derrière. Malgré tous les fantasmes qui accompagnent
l’intelligence artificielle, nous sommes encore loin de systèmes
intelligents autonomes, capables d’inventer seuls des solutions
nouvelles. Ce qu’on peut faire aujourd’hui relève plutôt de
l’automatisation des tâches et d’un apprentissage de fonctions très
spécifiques, à partir de règles et de processus pensés par leurs
concepteurs.
Garder la tête froide
Chaque nouvelle vague de technologies a suscité sa dose de fascination et
d’incertitudes. Il n’est que de penser aux débuts de la
micro-informatique ou, plus près de nous, de l’Internet, pour constater
que seule la méconnaissance initiale de chaque phénomène a suscité la
méfiance ou les interrogations sur l’utilité et les modalités de mise en
oeuvre. Songez, lors des débuts du web, à la sempiternelle expression
médiatique d’« autoroutes de l’information » dont on nous a rebattu les
oreilles et qui pouvait nous paraître à la fois incompréhensible et
essentielle à comprendre. C’est à partir du moment où nous avons compris
que le micro-ordinateur ou l’Internet n’étaient que des outils et non
des sujets en soi, que nous avons pu les domestiquer.
Il en ira de même de la révolution de la Data. C’est en gardant la tête
froide par rapport au tourbillon technologique et médiatique, et en
abordant la Data comme un outil et non comme une finalité que nous
pourrons en tirer des bénéfices concrets. Voici quelques éléments à
garder à l’esprit pour ne pas se laisser déborder :
- La Data la plus utile et la plus pertinente dort souvent dans nos
bases de données. L’activation de ces données disponibles doit être une
priorité, avant de passer à l’étape suivante. Ces données seront un
capital disponible pour un croisement ultérieur avec les datas externes
ou nouvelles.
- Les réseaux sociaux n’apportent pas toujours une information
suffisante et qualitative. Les remontées peuvent être trop peu
nombreuses (fiabilité statistique), partielles (bruit négatif
uniquement) ou trompeuses (cf les faux commentaires, les biais lors de
la présidentielle…). Il ne faut donc surtout pas se départir de
son esprit critique dans l’analyse de ces remontées.
- L’Open-Data est largement sous-utilisé. Les bases de données
publiques regorgent d’informations utiles (sur les populations, les
territoires, les infrastructures, les équipements…).
- La Data brute ne conduit généralement pas à des décisions
pertinentes. L’activation du sens passe le plus souvent par le
rapprochements de données de sources différentes (comportement +
historique et/ou signalétique…)
- Il n’y a pas toujours une réponse quelque part. La data ne
remplace pas l’instinct et l’expérience des managers. La machine ne
prend pas des paris. Elle fait de la statistique et ne choisit que par
rapport aux situations passées. Les algorithmes n’apportent que des
réponses standardisées dans des situations connues.
- Il n’y a pas d’algorithme automatique qui ne soit une production
de l’esprit humain. Les machines font aujourd’hui ce qu’on leur demande
de faire. L’intelligence artificielle n’est qu’un ensemble d’algorithmes
basés sur des règles précises. La pertinence de ces règles dépend de
leurs concepteurs.
- L’exploitation de la Data est une chose trop sérieuse pour être
confiée aux seuls techniciens. La connaissance du métier et l’approche
stratégique des enjeux sont des facteurs déterminants. La Data Science
exige une combinaison de compétences informatiques, statistiques et
business.
- Une exploitation systématique de la data peut être
contre-productive et générer la lassitude ou le rejet de la part du
consommateur surexposé. Il faut donc se méfier des tentations de culture
intensive et s’en tenir à une culture raisonnée de la Data.
Dans cet univers digital en pleine expansion, le développement d’une culture Data à tous les niveaux de l’entreprise est certes un priorité. Mais la Data doit rester à sa place : c’est un outil au service des experts humains qui le conçoivent, s’en servent et le font évoluer, avec leur intelligence et leur expérience.