Les communautés existent depuis la nuit des temps : familles, communautés locales, religieuses, associations de solidarité ou de charité, clubs d’amateurs. Dès les années 50-60, certaines entreprises visionnaires comme Tupperware ou Weight Watchers ont créé leurs communautés, anticipant le potentiel communautaire des marques. Mais ce sont souvent les fans eux-mêmes qui ont été à l’initiative des premières communautés de marque : les fans de 2CV, Harley Davidson ou Fiat 500 ont très vite ressenti le besoin de créer des clubs locaux dans l’optique de partager leur passion de ces véhicules de marque. Mais les communautés traditionnelles étaient contraintes de se réunir dans des lieux et à des moments précis à travers des regroupements physiques ponctuels. Les réseaux sociaux et le digital permettent aux communautés digitales de s’affranchir de ces contraintes physiques et temporelles. Il n’y a plus de nécessité de se retrouver à un endroit précis : les communautés virtuelles peuvent réunir des individus quelle que soit leur proximité géographique. Il n’y a plus besoin de se donner rendez-vous à une date précise : les communautés existent de façon permanente grâce au web.
Avec le digital, la marque peut créer un lieu virtuel pour permettre aux gens de se parler, de se rencontrer, d’échanger. Deux types de relations sont possibles au sein de ces espaces communautaires : la relation verticale qui prédomine sur les réseaux comme Facebook permet à la marque d’échanger avec ses fans, ses followers ou ses membres ; La marque peut aussi être le catalyseur d’une relation horizontale entre ses consommateurs. Elle favorise des relations entre les consommateurs parce qu’ils partagent un intérêt commun indépendamment du rapport à la marque. Il peut y avoir non seulement échange d’information entre les consommateurs sur les usages mais aussi développement de pratiques communes : concours de photos, randonnées, entraide, défis, partages, co-création.
Les marques pallient certaines défaillances de la société en incitant
l’activité communautaire. L’évolution de la société avec la montée de
l’individualisme et l’effritement des structures sociales
traditionnelles génère des manques à plusieurs niveaux :
- Au niveau de la transmission des savoir-faire : les membres de la
famille élargie (parents, grands-parents, enfants) vivant moins souvent
sous le même toit, l’échange intergénérationnel ne joue plus aussi
activement son rôle de transmetteur des savoirs universels non
institutionnalisés (faire une mayonnaise, changer une couche, poser une
étagère…) ;
- Au niveau de l’activité sociale : les occasions d’être ensemble se
font de plus en plus rares.
Cette évolution engendre même un réel désir de soutien psychologique au
quotidien chez certaines personnes. Ces besoins peuvent être en partie
palliés par les marques via les communautés. Après l’analyse
sémiologique de près de 100 exemples de communautés, nous sommes
parvenus à établir une typologie des communautés de marques en 7 grandes
familles :
- Les communautés thématiques (autour d’un centre d’intérêt) :
Canon Planète Powershot, Bénéteau Yacht Club, Nike Plus. Ces communautés
regroupent des passionnés d’une même activité qui peuvent ainsi vivre
leur passion ensemble. Les membres de la communauté Bénéteau ont la
possibilité moyennant 70 euros pour deux ans d’intégrer le réseau «
Between Us » et d’échanger leur bateau avec d’autres propriétaires du
monde entier.
- Les communautés sociales de coaching ou de soutien : Pampers
Village, Graine de curieux de la FNAC, Yunomi de Unilever. Ces
communautés sont en quelque sorte le pendant virtuel du « gynécée ». La
communauté Pampers Village réunit des mères qui vont accoucher dans la
même période (communauté temporelle) et qui ont donc des préoccupations
et des inquiétudes similaires. Elle leur donne donc accès à des experts
et leur permet d’échanger leurs expériences.
- Les communautés d’intervention ou de support technique : les
diverses communautés de freenautes ou la communauté Dell. Dans les
domaines techniques, il y a un besoin d’entraide entre les utilisateurs
afin de tirer le meilleur parti des matériels et logiciels. Citons le
cas emblématique de Free. La « débrouillardise », le « côté démerd’ » du
geek est partie intégrante d’une culture prônée par la marque. Elle
s’exprime dans ses communications via Rodolphe le « geek », le « techno
fou » qui incarne « une culture de se démerder tout seul ». Elle a ainsi
choisi de laisser se développer toute une culture totalement
indépendante et horizontale : une foultitude de communautés spontanées
online comme Univers Freebox ou Freeks association. En plus de permettre
à ses fans de performer la marque et ses codes via ces communautés, Free
bénéficie d’un puissant outil de SAV bénévole. Dell et Sony ont choisi
d’organiser eux-mêmes la communauté de leurs utilisateurs afin de
pouvoir organiser les remontées et les échanges.
- Les communautés de mise en relation : Marmarafit, Ikea
Covoiturage. Dans le domaine des biens conviviaux comme les vacances ou
les voyages, le digital permet de faciliter les rencontres. Marmara a
créé Marmarafit pour faciliter les retrouvailles entre vacanciers du
même séjour – les Marmaramis – et les inciter à repartir ensemble. Créer
une communauté de mise en relation permet notamment à la marque d’avoir
une meilleure maîtrise sur certains éléments du service qu’elle propose
: l’ambiance, les affinités entre des personnes qui vont être amenées à
passer du temps ensemble. La communauté peut aussi faciliter l’accès aux
magasins de la marque ou rendre le trajet plus agréable comme c’est le
cas avec Ikea covoiturage.
- Les communautés de réalisation autour de projets humanitaires :
Kohop de CocaCola, Pepsi Refresh, Pedigree Adoption Drive, Generation
Responsable de Generali. Ici la marque fédère les internautes autour de
projets humanitaires. Internet permet de rassembler des personnes du
monde entier et donne une vraie visibilité aux initiatives.
- Les communautés spectatrices qui permettent aux membres de
recevoir du divertissement (Oasis Fun Page sur Facebook) ou des bons
plans (Dell Outlet ou Virgin America sur Twitter). La communauté
spectatrice est un type de communauté particulier en tant qu’elle
s’appuie principalement sur des relations verticales entre la marque et
son « public ». En effet, la marque crée du contenu qui est ensuite reçu
et apprécié par l’internaute qui clique sur « j’aime » ou retweet pour
marquer son adhésion. Les aventures des superfruits d’Oasis sont suivies
par les fans sur la page Facebook.
- Les communautés professionnelles, qu’elles réunissent la
corporation ou l’interne : mydsi.tv d’Accenture, Twelpforce de Bestbuy,
Cisco Live. La marque prend ici le relais de la corporation en proposant
aux corps de métiers un espace d’information et d’échange
professionnels, fonction des corporations d’autrefois dissoutes par la
Révolution française au nom de la libre concurrence.
En partageant son expérience, l’utilisateur démultiplie son plaisir par l’échange, l’accroit en acquérant des informations et des astuces qu’il ne connaissait pas. Le partage des expériences permet aussi de ne pas être isolé dans sa pratique. Le bénéfice d’usage d’un produit s’accroit en le partageant avec des gens qui ont l’usage de ce même produit. Le partage et l’échange démultiplient le plaisir. La confrontation avec d’autres permet d’ouvrir de nouveaux horizons. Les expériences diverses mises ensemble se complètent.
Certes il y a un intérêt pour les membres à avoir des relations horizontales mais il y a un intérêt aussi pour la marque à avoir des communautés de pratique. C’est notamment vrai pour les produits où la pratique est primordiale. On peut prendre l’exemple de Rossignol : sans communauté de fans d’une pratique freestyle, il leur manquerait un support de communication important.
Les communautés sont à la fois des media de communication mais aussi des démultiplicateurs d’influence. Ce sont des lieux à partir desquels les imitations, la communicativité, la contamination peut partir. Ce sont des terreaux, des viviers, des lieux stratégiques de regroupement de gens, qui peuvent devenir leaders d’opinion ou de pratique de consommation sur certains produits. Ce sont des vecteurs de communication fantastiques.